mercredi 20 mai 2009

De l'importance des enterrements

Mardi 5 mai, 15h15 à la chapelle du crématoire à Berne, un enterrement comme tant d'autres.

Sauf que la personne qu'on enterre est ma Tanti. Une vieille dame de 94 ans qui a été délivrée des souffrances de l'âge, dit sa famille. La dernière fois que nous nous sommes parlées, il y a deux ans et demi, elle était fatiguée et triste, mon Tonton lui manquait, la vie sans lui n'avait plus le même goût. Je ne l'ai plus rappelée depuis. L'orgue se met à jouer, des larmes montent en moi, restent au bord des yeux et s'arrêtent net lorsque la pasteur(e) se met à parler en suisse allemand. Est-ce la langue ou autre chose? En tout cas, je me sens très loin de cette cérémonie. Commence un "Lebenslauf", Madame est née en tant, a fait tel apprentissage, à travaillé dans tel magasin, aimait chanter, a rencontré son époux, est devenue femme au foyer, etc. Heureusement, il y a une note plus personnelle sur les rencontres furtives entre la pasteur et Tanti, anecdotes qui rendent le CV moins... je ne sais quoi. Des remarques qui rappellent la femme que fut la défunte, au-delà de dates et d'évènements.

Mes pensées vagabondent un peu, je m'arrête sur la communauté réunie dans la chapelle. On ne se croirait pas à un enterrement. Les gens sont relativement mal habillés, je remarque même une dame en rouge et me dis que, quand même... Et soudain, je me sens comme la gardienne des cultes dans mon ancienne paroisse, à critiquer untel qui fait la lecture en short, ou tel autre, qui est toujours mal coiffé.

Est-ce la société d'aujourd'hui? Ou les gens sont-ils ailleurs, comme moi (mais moi, j'entends ce que dit la pasteur)? Toujours est-il qu'au moment où l'officiant dit: "Nous disons ensemble la prière de notre Père", je suis la seule à la dire, en français qui plus est, et je me sens dans un autre monde. Pas de cantiques, c'est normal, les gens ne les connaissent pas... sauf un, à la fin du culte. De nouveau, une invitation: "Je prie ceux qui le peuvent de se lever pour le cantique et pour la bénédiction qui suivra." Nous sommes trois à nous lever. (Je vous rassure, nous n'étions pas les seuls en moyen de le faire.) A la fin de la cérémonie, les deux autres me demandent: "On devait bien se lever, non?"

Je me sens "vieille", ne comprenant pas l'inculture religieuse à laquelle j'ai participé. Et je me sens étrangère, n'ayant trouvé aucun réconfort dans ces mots d'une autre langue, dans ces coutumes différant un peu des miennes.

Quelques mots partagés avec des gens de la famille, et je me sens reconnectée. Oui, Tanti était bien Tanti et nous nous souviendrons d'elle. Et cette espèce d'amertume de ne pas avoir pris de ses nouvelles s'estompe, je me raccroche à ce que nous avons vécu ensemble. Aux souvenirs d'enfance que je garderai toujours. Cet âne en bronze du Signal de Bougy, sur lequel on m'a fait asseoir pour une photo - sur laquelle je mets le doigt sur la tempe, l'air de dire: "Ils sont fous ces adultes" - et sur lequel j'ai à mon tour assis mon fils il y a quelques semaines. Le mois passé chez eux alors que mes parents étaient en voyage, les devoirs faits avec Tonton, ma place sur le tabouret en regardant Tanti faire la cuisine. Mon lit. Que j'ai protégé contre l'invasion fraternelle - il n'avait qu'à prendre l'autre, le frangin. Que je voulais retrouver les soirs de rentrée de balade, alors que la lumière était encore allumée au premier - où nous habitions à l'époque. Malgré la proposition de rentrer chez moi, il m'arrivait de répondre: "Non, je veux dormir dans mon lit." Les leçons de tricot sous la fenêtre, en plein soleil, avec une laine jaune canari. J'en ai encore mal aux yeux... Tant d'expériences et tant d'autres encore qui ont marqué mon enfance, qui m'ont construite. Nous en parlions parfois, ces dernières années. Ce sont ces souvenirs que je garderai d'elle et pour lesquels je suis reconnaissante. Ce sont ces souvenirs que j'ai partagés avec la famille en deuil dans une lettre, ne pouvant rester sur cette impression du jour de l'enterrement. Tant que nous nous souvenons d'eux, les gens continuent de vivre en nous. C'est ce que m'a dit un homme sage dont le souvenir vit en moi.

Deux semaines plus tard, je reçois un paquet accompagné d'une carte. Dans laquelle les neveux de Tanti me remercient de leur avoir rappelé que cette Tanti que nous partagions avait été la grande dame dont je veux garder le souvenir. Eux l'avaient oublié ces deux dernières années. Vraiment, merci Agnès. Et ils m'envoient une figurine en porcelaine en souvenir d'elle. J'ai déjà un souvenir matériel: la tasse dans laquelle je buvais mon cacao quand j'étais petite, Tanti me l'avait offerte quand Tonton et elle étaient entrés en maison de retraite. Mais le geste me touche. Il y a eu un partage, un peu de réconfort dans mes mots et dans ceux des neveux, nous avons chacun à notre manière montré notre compassion.

Et voilà que le rituel qu'est un enterrement reprend tout son sens.

lundi 18 mai 2009

Quand on n'a pas (encore) les mots pour le dire...

15h48 cet après-midi, un peu avant l'heure habituelle du goûter. Nathanaël devient hystérique sans raison apparente, il crie, se tourne dans tous les sens et ne veut pas se laisser calmer. Je lui demande: "Qu'est-ce qu'il y a? Dis-moi ce que tu veux, je ne comprends pas", sachant bien qu'il ne me le dira pas, mais espérant qu'il arrêtera de crier. D'un coup, il se met debout, me prend la main et me mène à la cuisine. Il s'arrête devant le frigo et pointe du doigt vers les fruits, disant: "ça". Je crois que le message est clair, le petit bonhomme a faim!