vendredi 17 juin 2016

Sécurité et toute puissance

Vos militaires patrouillant sous la tour Eiffel et dans les couloirs du métro ne me rassurent pas. Les hommes en uniforme, la mitraillette à la main, campés autour du rond-point du village voisin du mien n'ont rien pour me faire sentir en sécurité. Au contraire, ils me font peur, me sentir menacée, en faute, recherchée. Les panneaux d'alerte vigipirate affichés partout, me forçant à ouvrir mon sac à main chaque fois que je franchis une porte, à montrer ma carte d'identité quand je veux envoyer une enveloppe plus grande que le format B5, me rappelant que je n'ai rien à faire devant l'école où je pourrais rencontrer mes copines, m'agacent. Ils me rappellent que votre pays est en état d'alerte, mais que vos vigiles et vos affiches ne sont que de la poudre aux yeux. Ce gardien devant un musée parisien me l'a confirmé en m'avouant son désarroi devant ces mesures somme toute dérisoires. Les gendarmes postés devant le passage de frontière près de chez moi me donnent mal au ventre, même s'ils me laissent passer après avoir demandé où j'allais. Le déploiement en force des gardes-frontières (les nôtres cette fois-ci), fouillant ces voitures et cette camionnette, ne ne rassurent pas plus, moi qui veux passer la frontière à pied, mes deux enfants à la main.

Je me sens comme une mère réfugiée, tenant ses enfants près d'elle pour les protéger. Parce que les enfants ont peur, eux. La mère reste calme, il n'y a rien à craindre, nous vivons dans un pays sûr et le pays voisin l'est aussi - même s'il est en état d'urgence depuis des mois, à quoi cela servirait-il de le rappeler aux enfants qui n'y comprennent rien, d'ailleurs les adultes n'y comprennent pas grand chose non plus. Et je pense à cette mère réfugiée qui, elle, a vraiment peur car elle risque sa vie et celle de ses enfants. Mais ce risque est mieux que la quasi certitude d'une vie insupportable chez elle.

Vos hommes en uniforme me rappellent les temps de guerre dans ce pays qui s’appelait alors encore la Yougoslavie. Quand les patrouilles étaient partout, m'arrêtaient tous les quelques kilomètres sur mon chemin et avaient tout pouvoir sur moi. Quand nous sursautions à chaque fois qu'un policier ou soldat entrait dans le bar du village, que nous nous redressions comme des enfants remis en place par leur professeur d'école, arrêtions nos discussions riantes pour parler tout bas en attendant notre tour de justifier notre identité, et moi d'expliquer ce que je faisais dans ce pays qui n'était pas le mien. Mes papiers étaient-il en ordre, m'étais-je annoncée à la police, ma tante se portait-elle bien garante de moi?

Ils me rappellent aussi les militaires campés sur leurs miradors, entourés de barrières surmontées de fils barbelés, longeant cette frontière entre l'Ouest et l'Est, renforcée par un no man's land sans fin. La peur de la petite fille se rendant compte qu'elle entre en territoire ennemi, alors que ce territoire est pour elle synonyme de famille, d'amis, de rires et de joie.

Ce qui me rassurerait, ce serait que vous arrêtiez de vendre des armes, de bâtir des armées, de fomenter des plans de toute puissance, que ce soit à petite échelle dans votre foyer, ou à plus grande échelle, nationale ou internationale. Ce qui me rassurerait, ce serait que vous vous rendiez compte que vous aussi, oui vous tous, autant que vous êtes, êtes humains et avez en vous le pouvoir de choisir de vous aimer et de vous respecter, ce qui vous permettra de nous aimer et de nous respecter.

Les choses ne sont pas si simples, me direz-vous. Mais j'ose affirmer, dans la folie de mon espérance, que si, elles le sont. Si chacun commence par s'aimer et se respecter, il sera capable de montrer de l'amour et du respect pour l'Autre. Si chacun fait un effort à son niveau, nous grandirons tous et serons capables de vivre dans un monde fait de respect, avec ses règles et ses lois. Pour cela, il faut avoir l'humilité de reconnaître que la toute puissance n’appartient pas à l'Homme.